Ce que porter une coupe menstruelle m'a appris en tant que personne non binaire
Note: Tout au long de cet article, je vais parler de règles et de cycles menstruels. Ces choses sont traditionnellement associées à la féminité dans notre société. Elles sont vécues en majorité par des femmes, mais pas uniquement par des femmes, ni par toutes les femmes.
Je vais parfois utiliser le mot “femmes” pour désigner les personnes opprimées au sujet de leurs règles, car il s’agit davantage d’une oppression qui vise le groupe social des femmes que d’une oppression visant les personnes trans ou non binaires qui sont plutôt un impensé dans ce contexte.
Il ne faut pas oublier qu’il y a une spécificité dans le rapport des personnes trans et non binaires à leurs règles. Cette situation est un mélange de dysphorie de genre (c’est à dire la non concordance entre la représentation mentale que l’on a de son corps et la réalité biologique de notre corps) et l’invisibilisation et l’exclusion créées par la transphobie et l’ignorance.
Nous avons toustes à gagner à nous libérer d’une définition essentialiste et binaire du genre. Aucune personne de bonne foi ne peut se prétendre féministe et également définir le statut de femme comme dépendant de la capacité ou non à porter des enfants.
Mon rapport aux règles
Dès le début de ma puberté, j’ai voulu ignorer mes règles. J’ai longtemps associé les règles à l’infériorité de mon corps face au corps masculin. Pour moi, avoir mes règles, c’était avoir un corps sale, faible, incontrôlable, aux émotions imprévisibles dictées par des hormones. Un corps où la matière domine sur l’esprit, et, pire encore pour moi, un corps qui fait qu’on me rappelle sans cesse la perception que les autres ont de mon genre.
J’ai eu mes règles assez tard, et je les ai toujours attendues comme la chose qui me ferait enfin me sentir “femme”, qui me donnerait la pièce qui me manquait pour vraiment me sentir comme une “vraie femme”. Malheureusement ou heureusement, cette sensation n’est jamais arrivée, règles ou pas.
Ignorer l’existence de mes règles et faire comme si elles n’existaient pas était pour moi la meilleure manière de les gérer. Mon objectif était finalement de fonctionner selon l’idéal masculin de la société, selon un cycle de 24 heures et non pas de 28 jours. Si j’étais plus irritable, moins productif.ve ou moins fort.e à ce moment de mon cycle, je devais simplement redoubler d’effort pour être à la hauteur de ce que la société attendait de moi. Je ne pouvais pas me rabaisser à être limité.e par mon corps, car c’était donner raison aux clichés et aux moqueries véhiculés par les hommes autour de moi.
J’ai donc passé plusieurs années à “subir” mes règles sans jamais y être préparé.e psychologiquement car je ne suivais pas mon cycle et ne pouvais donc pas prévoir leur prochaine apparition. Je me promenais toujours avec des serviettes périodiques sur moi, je serrais les dents et je priais pour ne pas tâcher mon pantalon et me taper la honte devant toute la classe. Je marchais en canard avec l’impression de porter une couche, et je plissais le nez face à l’odeur de ma serviette à la fin de la journée, avant de la faire disparaître hors de ma vue aussi vite que possible, et je la remplaçais par une autre qui m’irritait et m’asséchait encore plus que la précédente. En bref, avoir mes règles, ça n’était vraiment pas ma chose préférée.
Mais alors, qu’est-ce qui a changé ? Le déclencheur pour moi, ça a vraiment été le podcast I weigh, avec Maisie Hill, Period Power. Je vous invite à l’écouter en entier, parce qu’il m’a permis de sortir d’une décennie complète passée à ignorer le fonctionnement de mon propre corps. Éviter d’en entendre parler et d’en parler n’apporte finalement rien, et ne fait qu’entretenir l’ignorance et la honte. Mon corps a un cycle, et prétendre qu’il n’en a pas ne me rend pas plus fort.e ou productif.ve. Au contraire, cela m’empêche d’écouter mon corps, de connaître mon propre état de santé et de subvenir correctement à mes besoins.
Faire semblant que son corps ne fonctionne pas selon un cycle menstruel, c’est comme vouloir gagner des sprints quand on n’a toujours couru que des marathons. Notre corps ne fonctionne simplement pas comme ça, et ce n’est pas une mauvaise chose, c’est simplement différent. Contrairement à ce que le capitalisme veut nous faire croire, nos corps ne sont pas des machines qui doivent toujours donner le même output pour le même input.
À partir de là, j’ai commencé à suivre mes règles avec l’application Clue, qui a l’avantage d’avoir l’air de bien protéger nos données et de proposer un langage et des ressources très inclusives. J’avais l’avantage de ne plus être pris.e par surprise par mes règles, et également de me rendre compte que les variations de mon humeur et de ma libido étaient en fait simplement explicables par les moments de mon cycle où je me trouvais. J’ai enfin appris à voir mes règles comme un signe de bonne santé de mon corps, et à ne pas avoir les mêmes attentes pour moi-même à cette période.
Pourquoi la cup ?
La cup ou coupe menstruelle est un dispositif en silicone que l’on place dans le vagin afin de recueillir le sang des règles tout au long de la journée ou de la nuit. Ses principaux avantages face aux protections menstruelles jetables sont son prix, et son impact moindre sur l’environnement et la santé. Je vous laisserai vous renseigner par vous-mêmes sur ces sujets.
Mais ce ne sont pas tant les avantages pratiques qui m’ont donné envie d’écrire cet article. C’est la réflexion que cela a alimenté en moi vis à vis du patriarcat, du capitalisme et de mon rapport à mon corps, à mon vagin et à mes règles.
Méconnaissance, peur et dégoût du corps féminin
D’abord, l’utilisation d’une cup m’a fait comprendre à quel point j’avais peur de mon corps. La première chose à laquelle j’ai pensé, et la première chose qu’ont évoquée certaines de mes connaissances quand je leur ai partagé mon expérience, c’est que “Moi ça me fait peur et je n’ose pas essayer”, ou bien “Je n’en serais pas capable”. Moi-même, avant d’essayer la cup, je n’avais jamais utilisé de tampon. C’était donc un grand saut vers l’inconnu que d’utiliser une cup (même si peut-être pas si grand, mais nous en reparlerons plus tard). Et finalement, c’est normal que nous ressentions ça: le corps des femmes est depuis toujours considéré comme compliqué et incompréhensible, longtemps exclu des études médicales pour ces mêmes raisons. La qualité des connaissances sur le fonctionnement du système reproductif féminin est encore perfectible, et des maladies comme l’endométriose étaient encore méconnues il y a quelques années.
Je vis dans un monde où on m’a appris à 12 ans comment mettre un préservatif sur un pénis, mais où je ne savais pas comment insérer un tampon ou une coupe menstruelle dans mon propre vagin à 24 ans. Et je ne suis pas la seule personne dans cette situation: Holly Gabrielle dans sa vidéo sur sa première expérience avec une coupe menstruelle explique que malgré ses études en biologie, elle ne connait absolument pas son anatomie.
Où se situe le vagin ? Quelle taille fait-il ? Y a-t-il un risque que ma cup se retrouve aspirée à jamais dans les limbes de mon utérus ? Ce sont de vraies questions dont les réponses ne sont pas innées. Nous avons besoin de cette éducation sur nos propres corps.
Et l’origine de cette méconnaissance et son utilité pour le patriarcat sont évidents: Knowledge is power, et nous maintenir dans l’ignorance, c’est nous maintenir dans une situation où contrôler nos corps est simple, où nous ne pouvons que difficilement reconnaître des violences ou même juger de la qualité d’un rapport sexuel. Les personnes avec un vagin ne peuvent qu’être passives, elles ne sont que le réceptacle immobile des vaillants spermatozoides qui se font la course.
Le vagin lui-même est vu comme un simple tuyau complètement passif et immobile. Pourtant, il possède des muscles, des muscles que l’on peut consciemment contrôler. Ce n’est pas particulièrement mis en avant quand on parle d’anatomie. Et ce sont ces mêmes mucles qui permettent justement de sortir plus facilement la cup le moment venu.
La vulve, le vagin et les règles sont également considérés comme sales. L’appellation même de “serviette hygiénique” que l’on entend parfois entretient cet imaginaire de la saleté. Tout comme la création des complexes autour des poils, des odeurs de transpiration, etc, cela permet de vendre plus de produits, pour s’épiler, se laver, être dans la norme jusque depuis l’intérieur de notre culotte. Et en effet, les serviettes et tampons qui font macérer le sang à l’air pendant plusieurs heures ne sont pas ce qu’il y a de plus agréable. Au contraire, la cup évite ces problèmes puisque le sang attend sagement à l’intérieur du vagin qu’on vienne le vider. Ce sang n’est pas sale. Il n’y a aucune raison d’en être dégoûté.e.
Quand on ajoute à cet environnement déjà peu accueillant de la dysphorie, qui fait que j’ai encore moins envie d’interagir avec cette partie de mon corps, on obtient un cocktail qui explique une méconnaissance et un dégoût complet de mon propre corps. Insérer une cup dans mon vagin deux fois par jour semble peut-être contre-intuitif, et pourtant c’est actuellement la solution que je trouve la plus agréable. Et pourquoi donc ?
Découverte de soi et confiance en son corps
Dans la vidéo de Holly Gabrielle que j’évoquais précédemment, elle explique n’avoir jamais eu d’expérience sexuelle avec une autre personne et n’avoir jamais non plus exploré sa sexualité en solo. C’est donc pour elle une découverte totale de son propre corps.
Je ne suis pas dans un cas aussi extrême, mais il est vrai qu’à une époque, je connaissais moins bien mon propre vagin que maon partenaire. Et, honnêtement, je trouve ça triste. Connaître son propre corps, comprendre son fonctionnement, le voir évoluer, c’est pour moi la clé qui permet une meilleure estime de soi et un rapport apaisé à son corps dans un monde qui veut nous créer toujours plus de complexes. Comprendre cette partie de mon corps m’aide, si ce n’est à l’accepter, au moins à ne pas en avoir peur. Pour moi, c’est passé non seulement par l’exploration de ma sexualité seul.e, mais aussi par l’utilisation d’une cup, et je sais qu’avec l’habitude je n’aurai plus du tout peur, ce qui est très empouvoirant pour moi.
Pouvoir observer mon propre sang, sa quantité, son aspect, me permet également de surveiller mon propre état de santé. Et la cup me permet d’oublier que j’ai mes règles pendant la plus grande partie de la journée, ce qui allège une partie de ma dysphorie.
Mon vagin n’est pas une partie sale, dangereuse ou incompréhensible de mon corps qui aurait besoin d’être domptée. À mon rythme, je peux apprendre à le connaître.
Pour aller plus loin
Je recommande à toutes les personnes qui ont leurs règles de tester la coupe menstruelle si iels s’y sentent prêt.e.s. C’est une occasion unique d’apprendre à mieux se connaître, même si vous décidez que ce n’est pas pour vous à long terme.
La chaîne Period Nirvana qui propose des vidéos très complètes sur tous les produits menstruels réutilisables, ainsi que tout un tas de conseils pratiques et de démonstrations qui m’ont été bien utiles dans ma préparation pour la première utilisation. L’important est d’aller à son rythme et d’écouter son corps.
Les autres ressources que j’ai mentionnées:
- le podcast I weigh, avec Maisie Hill, Period Power
- l’application Clue